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La complexe intervention chirurgicale dans le cas d’une transplantation d’organe se différencie des autres interventions du fait des profondes implications en jeu lorsque l’on procède à la greffe dans le corps du patient d’une «partie d’une autre personne».
Ce qui est le plus important, outre le vécu de la maladie, est ce que l’on peut éprouver à avoir dans son propre corps un organe qu’il faudra réintégrer dans sa propre image corporelle. Sans cette réintégration, le risque de rejet de l’organe transplanté est très élevé. En fait, le problème central de la transplantation du point de vue psychologique est que, comme cela se produit dans la maladie, l’intégrité et l’unité de l’image corporelle se brisent : l’on remplace un organe qui ne fonctionne pas mais qui appartient au patient, par un «autre organe» qui fonctionne mais qui appartenait à quelqu’un d’autre.
Après cette opération biologique (d’une durée relativement courte : six ou sept heures de bloc opératoire), le patient doit effectuer un travail complexe de reconstruction mentale: c’est-à-dire une recomposition de la première image mentale du Moi que la greffe impose «de manière inopinée» afin de maintenir le sens d’identité du sujet. Le processus de reconstruction de la propre identité, qui accompagne le sujet vers la récupération de l’unité) de sa propre image corporelle est long et complexe; mais, afin que le sens de la propre identité puisse se reconstruire, il est indispensable que l’individu accomplisse un lent et difficile travail d’intégration psychique ou mieux d’«accorporation» de l’organe transplanté. C’est pour cette raison qu’il n’y a pas de transplantation, surtout provenant de cadavre, qui ne soulève chez le receveur des vicissitudes et des parcours psychologiques et émotifs; si certains patients savent trouver une voie d’intégration du nouvel organe, d’autres n’y parviennent jamais complètement.
La condition indispensable afin que ce processus d’assimilation puisse se produire est que le patient ait élaboré et surmonté le deuil de son propre organe perdu et qu’il n’éprouve aucun sentiment de culpabilité vis-à-vis du donateur. En fait, il arrive souvent que les sujets ne réussissent pas à assimiler l’organe dans leur propre identité psychosomatique et qu’ils continuent à le percevoir comme quelque chose d’étranger, de prothésique, de postiche jusqu’au point de le sentir objectivement persécuteur; dans ce dernier cas, l’organe transplanté peut créer une certaine confusion dans l’image corporelle du receveur et pour cette raison être vécu de façon archaïque et fantastique: ou comme objet hostile, destructeur et persécuteur ou alors comme objet investi d’une force et d’une vitalité capables de susciter un sentiment de renaissance.  Ainsi, on peut déduire que l’organe transplanté, outre le fait qu’il ne sera jamais biologiquement inerte, il ne le sera pas non plus sur le plan psychologique puisqu’il comporte toujours un problème de rapport psychologique entre le patient et l’organe et à travers ce dernier, le donateur.
Certains auteurs parviennent en effet à l’hypothèse que l’absence de résolution d’un tel rapport pourrait déterminer le rejet biologique de l’organe, c’est-à-dire que les facteurs psychologiques peuvent conditionner l’intensité des réactions de rejet et même le provoquer. A travers le rejet le patient manifesterait sa difficulté d’intégration psychologique de l’organe transplanté. Le rejet psychologique est, comme nous l’avons dit, possible si le sujet n’admet pas le nouvel organe comme faisant partie intégrante de son corps. En effet, selon Chiesa 1, la possibilité d’intégrer l’organe donné dans la propre image corporelle passe à travers la progressive maturation des processus de défense, c’est à dire l’abandon de la part des patients de mécanismes archaïques comme le déni, et l’utilisation de la part du patient des capacités du Moi à fonctionner selon les processus secondaires d’objectivité et de neutralisation. Seulement dans ces conditions, la greffe, d’un point de vue cognitif et affectif, peut se réaliser, à travers une lente métabolisation, à partir du stade initial où l’organe est ressenti comme «corps étranger», objet ambivalent «bon à être inséré» et en même temps «investi de méfiance» pour son intrusion à travers la phase d’incorporation partielle et parvenant ensuite à la phase d’incorporation complète, lorsque le nouvel organe est devenu partie intégrante du fonctionnement physiologique et donc de l’image corporelle; de ce fait, le nouvel organe devient partie intégrante du sens de Soi 2.
En réalité, d’autres auteurs font une ultérieure distinction entre incorporation et introjection. En fait, dans le cas des transplantations d’organes, il n’y a pas seulement le remplacement d’un organe, c’est à dire le passage de l’extérieur à l’intérieur de quelque chose et donc pas seulement à surmonter la limite somatique, mais il y a aussi un processus beaucoup plus complexe, l’introjection, comprenant à la fois le versant somatique et psychique, processus qui permet de ce fait, l’intégration psychique de l’organe et donc la restructuration du Soi.
La distinction qu’établit L.Sarno 3 entre incorporation et introjection est significative. Il soutient que l’incorporation est mise en acte lorsque l’élaboration du deuil n’est pas possible à cause de la relation ambivalente et narcissique du sujet avec l’objet perdu et comporte la négation de la perte de tel objet, l’objet continue à vivre dans le Soi: dans ce cas, l’objet étant absorbé de façon fantasmatique, continue à vivre dans le Soi, par conséquent, l’incorporation ne prévoit pas le douloureux travail de restructuration du Soi face à la perte. L’introjection, au contraire, permettrait, étant un mécanisme plus mûr, une élaboration adéquate du deuil et donc une restructuration du Soi due à la perte de l’objet. Mais, afin qu’un individu puisse utiliser l’introjection, il est fondamental qu’il soit parvenu à acquérir la capacité de tolérer la frustration. S’il n’a pas cette capacité, le vide entre le Soi et l’objet ne peut être toléré et l’individu alors recourt à l’incorporation.
D’autres auteurs comme Crombez et Lefebvre 4, soutiennent que, pour expliquer le processus d’intégration de l’organe donné dans l’image corporelle du receveur, il n’est pas correct parler d’introjection ou d’incorporation mais que, par contre, l’on doit introduire une autre fonction mentale: l’accorporation. L’incorporation exprime en fait le passage de l’extérieur à l’intérieur à travers les orifices corporels alors que l’introjection constitue une modalité d’intériorisation vécue essentiellement sur le plan mental : l’accorporation exprime à la fois les versants de l’expérience somatique et mentale. Certaines caractéristiques de cette fonction mentale la rendent semblable à l’incorporation orale primitive et permettraient donc, selon les auteurs, d’expliquer les craintes qui souvent apparaissent chez les «receveurs», craintes liées au fantasme de pouvoir hériter avec le «nouvel» organe également des caractéristiques physiques et psychologiques du donneur. Un exemple 5 à ce propos nous est fourni par les États-Unis: un fait relaté par un représentant du Ku Klux Klan qui, devint membre d’une association pour l’affirmation des droits des personnes de couleur, après avoir appris que le rein qu’il avait reçu provenait du cadavre d’un homme de couleur noire. Une expérience aussi totalisante peut même déclencher des vécus persécuteurs jusqu’à se structurer en un réel délire. Seulement dans un deuxième temps la possibilité de séparer la figure du donateur de l’organe reçu pourrait favoriser une progressive accorporation avec possibilité d’intégration dans la propre image corporelle et avec investissement libidinal narcissique.
André Muslin 6 retient également que le processus d’assimilation de cette «nouvelle partie» implique des mécanismes d’incorporation, d’introjection et d’identification.  Il pense qu’il existe trois phases d’internalisation: le stade initial est celui du «corps étranger» même s’il peut susciter des sentiments protecteurs (c’est-à-dire qu’il est ressenti comme l’organe qui permet de vivre); le stade suivant est celui de l’incorporation partielle dans laquelle le patient manifeste une plus petite tendance à considérer l’organe comme étranger, alors que le stade final ou celui de l’incorporation complète est caractérisé par l’acceptation du nouvel organe, à tel point que l’on ne se rend plus compte de son existence.
Selon Castelnuovo-Tedesco 7, le plus grand chercheur dans ce domaine, la transplantation comporte toujours au moins une identification partielle de la part du receveur avec le donateur et l’absence d’identification avec le donateur peut déterminer le rejet biologique de l’organe. Il est évident que l’identification dont parle cet auteur est tout autre de celle à laquelle on fait référence habituellement dans le milieu psychanalytique; ici, en effet, il ne s’agit pas d’acquérir les traits de la personnalité du donateur qui contribuent à modeler et à restructurer celle du patient, mais d’une réelle et propre intégration de l’organe transplanté dans son identité psychosomatique, ce que l’on pourrait appeler une sorte d’«identification passive»; ce n’est pas le patient qui se fait en quelque sorte semblable au donateur, mais un organe de ce dernier qui est ressenti par le patient comme une partie de lui-même. En effet, Castelnuovo-Tedesco soutient que l’organe transplanté obtient immédiatement son propre espace à l’intérieur du monde représentatif de celui qui le reçoit : il s’intègre tout de suite avec les autres objets intériorisés qui sont à leur tour modifiés par cette nouvelle présence. L’organe transplanté ne se configure donc pas comme une simple «pièce de rechange» mais représente symboliquement un autre être humain intériorisé.
Une parmi les tentatives en vue d’approfondir ultérieurement telle hypothèse est résumée dans les études micropsychanalytiques du Professeur Nicola Peluffo 8. Selon l’auteur, la maladie peut prendre totalement ou partiellement la place persécuteur. Il est possible d’affirmer que «la maladie lie le conflit et canalise l’agressivité et donc que lorsque la maladie est bien localisée et éliminable, par exemple grâce à une intervention chirurgicale, l’angoisse n’est plus liée et peut, du moins de façon temporaire, se reverser sur le canal psychique». Ainsi, il arrive souvent qu’après une euphorie initiale due à la santé retrouvée, le patient qui a subi une transplantation se voit à nouveau confronté aux problèmes conflictuels qu’il avait liés au syndrome organique. Lorsque l’organe malade est retiré et que l’on effectue l’implantation d’un nouvel organe, toute l’élaboration antécédente est perturbée et de nouvelles tentatives sont nécessaires afin de rétablir l’homéostase et donc pour maintenir l’organe transplanté (favoriser une réaction de facilitation), il est nécessaire d’effectuer sur soi-même un investissement narcissique, c’est-à-dire faire pénétrer, aux fins d’identification, la partie neuve dans la vieille structure imaginaire du Moi qui nécessairement se modifiera 9.
Une idée qui apparaît de manière constante 10 chez le patient qui a reçu le transplant est celle d’avoir privé le donateur d’une partie vitale et par voie de conséquence, le donateur a été blessé ou tué. Ces pensées sont basées sur des sentiments de culpabilité inconscients auxquels s’ajoute la peur d’être puni. «Prendre» un «morceau» de quelqu’un d’autre, matérialise les fantasmes primaires de castration et il se créé une situation inconsciente semblable à celle que l’on peut observer au cours de l’analyse des sujets chez qui le vécu fétichiste est particulièrement intense, soutenu par le fantasme inconscient d’avoir dérobé la mère du pénis 11 . Un cas significatif duquel parle Castelnuovo-Tedesco dans «Organ Transplant, Image corporelle, Psychose (1973) est celui d’un patient qui eut une réaction psychotique suite à une transplantation cardiaque. Il commença à se plaindre que non seulement son cœur avait été prélevé sur une autre personne mais que cette personne était une femme. Dans les moments de régression plus profonde il délirait disant qu’il avait volé le cœur à une femme et que cette femme était sa mère. Ce sujet eut, dans les moments culminants de son délire, des hallucinations auditives durant lesquelles il entendait une voix de femme l’appeler : c’était la donneuse-mère qui revenait pour réclamer ce qui lui appartenait. Le patient soutenait que, lorsqu’elle lui aurait repris son cœur, elle l’aurait absorbé et incorporé tout entier, comme lui-même avait fait avec le cœur de celle-ci. On peut expliquer ce cas en se reportant de nouveau à la théorie micropsychanalytique de Nicola Peluffo 12  : le chef de file italien de la micropsychanalyse met en parallèle la greffe et la grossesse qui est conditionnée par l’interaction des fantasmes stimolo-réponse subsistants entre la mère et le fœtus. En fait, il soutient que la greffe d’un organe serait une sorte de grossesse: l’organe non self (comme du reste le fœtus) serait mieux intégré s’il s’établissait un processus d’identification profonde entre l’hôte et le donateur. Dans un cas spécifique «la partie neuve (le cœur) qui substituait l’organe malade qui liait somatiquement le conflit, l’angoisse et l’agressivité, redevenait le lieu du conflit qui reprenait son aspect psychique se reversant dans l’imaginaire et s’exprimant dans le délire de persécution réciproque entre lui et la femme-mère» 13  .
On pourrait vérifier une réactivation de ce que Nicola Peluffo définit le conflit de base, c’est-à-dire celui entre le soma et la psyché lequel commence au niveau somatique et se présente lorsque la réaction défensive de rejet de l’organisme maternel est contrastée par l’investissement narcissique que la mère crée sur l’enfant qu’elle porte en son sein; en effet, le fœtus complète l’unité psychosomatique de la mère et permet la réparation de ses vécus de détachement, de perte.
Etant donné que la micropsychanalyse 14 admet qu’un processus somato-pathologique ait une manifestation inconsciente qui est élaborée dans l’imaginaire, reconnaissable à travers le rêve et que durant la grossesse, l’organisme étranger (le fils) donne acte, chez la mère, à des manifestations oniriques spécifiques, même la présence d’un groupe de cellules étrangères, avec leur patrimoine génétique divers, donnerait origine à un phénomène semblable.

Une donnée émerge de tout ce travail, évidente mais non moins importante : une transplantation est un événement absolument particulier parce que c’est le seul cas parmi toutes les expériences thérapeutiques qu’un patient peut affronter, dans l’immense champ de la médecine, qui implique et met en contact jusqu’à l’extrême limite de l’intégration physique deux personnes, l’une d’elle: le receveur avec tout son vécu, et dont l’expérience de sa grave infirmité marquée par la douleur, par ce sentiment d’impuissance et par la peur de la mort. L’autre: le donateur vivant ou mort, «l’Autre» porteur lui aussi de son vécu, souvent inconnu et pour cela même, encore plus inquiétant. Deux existences se rencontrent dramatiquement, justement au moment de la plus grande vulnérabilité physique et psychologique du receveur, partagé entre le fait qu’il est parfaitement conscient que c’est à l’Autre qu’il doit ses espoirs de survie et la peur, plus ou moins inconsciente, de cette extrême intimité par laquelle un Autre devient part de lui-même. Le donateur vivant est protagoniste d’un acte généreux mais qui peut lui être nuisible sur le plan physique et également sur le plan émotif de diverses manières et avec de nombreuses conséquences. Puis, il y a aussi les membres de la famille, plus ou moins impliqués dans une expérience qui, en général, bouleverse les rapports et perspectives de toute la famille, mais qui, en même temps, doivent jouer un rôle primordial, en collaboration avec le personnel hospitalier, dans le soutien et l’assistance au patient. Enfin, il y a le personnel soignant, chacun avec ses propres compétences professionnelles qui, d’un côté, doit gérer les nombreuses et complexes phases de la transplantation et faire des choix souvent difficiles et lourds de responsabilité, et de l’autre, doit jouer le rôle d’interlocuteur du patient et de sa famille. En effet, c’est à lui que l’on demande sans cesse d’être rassuré, et aussi à lui que l’on attribue, en définitive, la responsabilité de l’issue de l’opération. Entre toutes ces personnes les relations deviennent complexes, difficiles, souvent conflictuelles d’où l’importance de l’assistance psychologique qui a le devoir d’observer, d’identifier les problèmes, d’indiquer les comportements plus adéquats, de soutenir tous les protagonistes, de faciliter leurs relations et de favoriser la réinsertion du transplanté dans une normalité qui, dans tous les cas, ne sera plus celle d’avant.

Écrit par Elena Consoli ©

Traduction de Liliane Salvadori

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Notes:

1 Chiesa S. – Il trapianto d’organo: crisi e adattamento psicologico – Psichiatria e Medicina, 10, 15, 1989. Back!
2  House R. M. e  coll. – Psychiatric consultation to organ transplant services – Reviews of Psychiatry, 1990, 9, 515-536. Back!
3 Sarno L.  – La scorza ed il nocciolo (N. Abraham e M. Torok). Una nota su introiezione ed incorporazione: radici e natura della cripta – Riv. di Psicanalisi, anno XLI, 1995, n. 2, pp. 294-302. Back!
4  Lastrico A., Politi P.L., Barale F. – Sul vissuto del trapianto cardiaco-– Minerva Psichiatrica, 1994, 35, 3, 139-145. Back!
5 House R. M. e coll. – Op. cit. Back!
6 Muslin H.L. – On acquiring a kidney – Am. J. Psychiatry, 1971, 127, 1185-1188. Back!
7  Castelnuovo-Tedesco P. – Organ transplant, body image, psychosis – The Psychoanalytic Quarterly, 1973, 42, 3, 349-363. Back!
8 Peluffo N. (1983) – Immagine e fotografia – Borla, 1999. Back!
9 Peluffo N. – Op. cit., pag.141. Back!
10  Ibidem. Back!
11 Ibidem. Back!
12  Ibidem. Back!
13  Ibidem, pag. 124. Back!
14  Ibidem. Back!